SILENCE 

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Infographie 5g

Français

Quatre migrants narrent leur raison de fuir le pays, tous se retrouvent dans la camionnette d’un passeur. Le personnage principal nous décrit l’endroit, dans l’espace et dans le temps, mais elle nous décrit aussi ce qu’il se passe autour d’elle, dans la camionnette.

Mardi 6 novembre, 1992.

Il est 6h du matin et j’étais là, assise dans mon coin, l’air innocent, le regard pensif et fuyant,
à écrire, ou plutôt à décrire, dans mon cahier – dans mon journal intime, oui appelons-le comme cela, journal intime -, poussiéreux et abîmé, ce qu’il se passait dans le véhicule du passeur. Nous étions quatre ; tous d’origine identique et avec nous notre raison de fuir le pays.
Je m’appelle Love, signifie Amour en anglais, j’ai 15 ans, je suis ghanéenne et j’ai fui du pays sans personne, je me suis simplement munie d’un cahier et du crayon que maman m’avait offert.

6h10.

L’ambiance était lourde, froide et pesante. Per-sonne, non, personne ne voulait croiser le regard de l’autre. Il faisait si calme et si froid que je finis par entendre la respiration rauque de l’un d’entre eux, il était assis-là en pagne, juste à ma gauche. Il avait un regard vide et mystérieux, il tripotait quelque chose du bout de ses doigts. C’était un lacet – c’était mon lacet de chaussure, je me demande bien comment il est arrivé là. Celui à ma droite ne cessait de chuchoter je ne suis pas un sorcier, tout en se balançant dou-cement de gauche à droite, il sentait la transpi-ration et la boue séchée. Je le regardais d’un air attristé et écœuré par l’odeur qu’ il dégageait. Le troisième individu qui, lui aussi se situait dans un coin, dormait.

Celui à ma gauche prit la parole :

Je m’appelle Yan, j’ai 26 ans et j’ai fui le pays car je devais une énorme dette à un dealeur. J’étais instituteur en primaire et je vivais avec ma magnifique femme qui, elle, est morte du cancer il y a deux semaines de cela. Je l’aimais…je l’aime toujours et je la porterai indéfiniment, dans mon cœur.Yan porta alors ses mains à sa poitrine. Il tenait quelque chose en mains : cela ressemblait à un pendentif… Oui ça l’était. Il ferma tout douce-ment les yeux et je compris alors qu’il ressassait ses bons moments passés à ses côtés.

Mark Steinmetz Kids


Il y eut un silence. Ce silence fut long, puis celui à ma droite prit la parole :
– Moi c’est Akwassi, j’ai 34 ans et, comme vous pouvez le voir, je suis albinos. J’ai été emprisonné pendant 22 ans pour accusation de sorcellerie. J’étais maltraité tous les soirs et ça n’est qu’hier soir que j’ai réussi à m’échapper. Mais j’ai aus-si fui afin de me retrouver dans un pays où l’on accepte la différence.
Un autre silence s’installa. On entendait plus que le doux bruit des cailloux se faisant écraser par les pneus.
Après un très court instant, j’ai posé mon journal et mon crayon.
J’ai relevé la tête, je regardais droit devant moi -j’avais un regard pensif -, je devais former mes dires dans ma tête, cela pris un bon moment, puis je leur ai expliqué ma situation en quelques phrases.
– Je m’appelle Love, j’ai 15 ans et j’ai fui le pays car on a abusé de moi… J’ai tenté de l’expliquer à mes parents, mais ils m’ont rejetée de dégoût. Ils m’ont d’ailleurs dit de quitter le pays car j’étais une honte au sein de la famille, je suis mainte-nant enceinte, enceinte de mon oncle.
Il y eut encore un silence, et ce silence fut le der-nier avant la fin de notre traversée.